« Agriculture et numérique. Tirer le meilleur du numérique pour contribuer à la transition vers des agricultures et des systèmes alimentaires durables ». C’est sous ce titre éloquent et résolument engagé qu’Inria, en collaboration avec l’institut de recherche Inrae, vient de publier un livre blanc coordonné par cinq chercheurs des deux instituts et basé sur de très nombreuses contributions. Ce livre blanc est une véritable mine pour celles et ceux qui veulent comprendre comment la recherche peut contribuer à maîtriser, préparer, équiper et accompagner le déploiement du numérique en agriculture et dans la chaîne alimentaire.
Produire plus et mieux
L’agriculture n’échappe pas à la numérisation rapide qui touche l’ensemble des secteurs d’activité. C’est au milieu des années 2010 qu’émerge le concept d’« agriculture numérique » qui désigne l’utilisation, à toutes les échelles de la production agricole, des sciences et technologies du numérique : sciences des données, technologies d’acquisition, de transfert et de stockage, technologies de traitement embarquées ou déportées…
Dans le même temps, la sécurité alimentaire, possibilité physique, sociale et économique offerte à des populations toujours plus nombreuses de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive, devient un impératif catégorique à travers le monde tandis que l’agriculture intensive montre ses limites et doit s’adapter à un contexte de plus en plus dégradé : baisse de la biodiversité, changement climatique, réduction des ressources…
Face au défi d’une transition de l’agriculture vers un modèle plus respectueux du bien-être animal et de l’environnement, l’agroécologie, qui s’appuie sur des processus naturels pour produire et qui s’inscrit dans des systèmes alimentaires de proximité et souverains, apparaît être une réponse pertinente.
C’est précisément cette voie que les auteurs du livre blanc ont choisi d’explorer, en examinant comment le numérique peut être un levier décisif pour cheminer vers l’agroécologie des systèmes alimentaires territorialisés et contribuer au maintien d’une agriculture familiale.
Des opportunités qui ne doivent pas faire oublier les risques
L’agriculture numérique et la recherche qui la sous-tend s’appuient aujourd’hui sur plusieurs leviers : l’abondance des données, les capacités grandissantes de calcul qui rendent possibles la mise en œuvre de l’IA et de nouvelles formes de modélisation, la connectivité et les interfaces d’échange d’information, l’automatisation et la robotisation. Les objectifs poursuivis sont, entre autres, d’assister les agriculteurs dans des tâches difficiles, de permettre une meilleure gestion des ressources, de favoriser les échanges et savoir-faire, le tout en respectant autant que possible l’environnement.
Bien utilisé, le numérique apparaît ainsi comme un vecteur d’innovations positives, « encapacitantes », pour mieux produire, pour mieux s’intégrer dans les écosystèmes, pour mieux partager et apprendre. Inversement, il porte en lui-même un certain nombre de risques qui deviendront des menaces s’il est mal orienté, comme, par exemple, le risque de décevoir les attentes écologiques (verrouillage technologique étouffant d’autres formes d’innovations plus transformatrices, perte du lien avec la nature…), ou celui de voir se développer des logiques d’industrialisation, de productivité et de concentration de la production dans des exploitations toujours plus grandes, ou encore le risque de fragiliser la filière confrontée à des cyber-risques ainsi qu’à une captation des données par des acteurs et des technologies hégémoniques.
L’ensemble de ces écueils liés à des mésusages doit être anticipé. Pour construire un numérique responsable, les auteurs plaident pour un certain nombre de principes : adopter une vision systémique ; prôner la frugalité ; favoriser la résilience ; être au service de l‘agriculture dans toutes ses formes.
Ils se positionnent également pour une « posture de recherche » qui puisse faire appel au cadre de la recherche et de l’innovation responsable (RRI). Encore peu appliquée en agriculture numérique, la RRI repose sur les principes suivants : anticipation, réflexivité, inclusion, réactivité. Elle nécessite un degré certain d’inter- voire de transdisciplinarité.
Les défis pour la recherche
Au total, les défis de recherche particulièrement pertinents recensés par le livre blanc concernent l’acquisition de données à diverses échelles et les questions associées de gouvernance, les dispositifs qui assisteraient les agriculteurs sur les plans cognitif, sensoriel ou physique, la modélisation de ces systèmes complexes et la gestion de l’incertitude associée, les outils numériques pour encourager les processus participatifs, la traçabilité et la valorisation des données auprès des consommateurs et enfin, la cybersécurité, essentielle pour garantir la souveraineté alimentaire.