[RÉ]concilier l'humain et la nature 

Contrairement à l’opinion dominante, le numérique n’est pas immatériel. Réseaux, serveurs, terminaux… nos échanges numériques sont faussement « dématérialisés » et leur impact sur l’environnement, bien réel. Des réseaux et systèmes distribués à l’architecture en passant par la programmation et l’algorithmique, comment mener la transition vers un numérique plus vert ? Comment réduire les coûts écologiques induits par certaines technologies comme la blockchain, le metavers ? Comment favoriser l’écoconception des services numériques ? Comment mener les études systémiques complexes seules à même de réduire la facture environnementale en intégrant des facteurs partiellement antagonistes ? Comment former les entreprises et leurs salariés à l’informatique durable et les aider à évaluer leurs pratiques ? Quelles innovations pour limiter la pression du secteur du numérique sur les ressources planétaires ? Quels outils pour sensibiliser l’opinion aux impacts du numérique encore largement méconnus ? Les chercheuses et chercheurs d’Inria s’emploient à répondre à ces questions et à imaginer un numérique frugal dans une nécessaire collaboration avec les sciences des matériaux, de l’énergie ou les sciences humaines et sociales.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a éclairé d’une lumière crue la très grande dépendance de certains pays de l’Union européenne au pétrole et plus encore au gaz russe. Elle a réveillé les consciences sur la nécessité impérieuse de développer les énergies renouvelables et, plus immédiatement, de réduire les consommations d’énergie. La sobriété énergétique est devenue une antienne, mais derrière le buzz word, il y a bien plus qu’une mesure d’urgence. Car la sobriété énergétique est à la fois un levier majeur d’autonomie et de résilience pour notre économie et l’un des moyens de réussir notre transition écologique. Face à ce défi, le numérique est porteur de promesses pour consommer moins (sobriété) aussi bien qu’autrement (efficacité). Les bâtiments intelligents pilotent les équipements énergivores comme le chauffage, la ventilation ou l’éclairage. Les smarts grids permettent de mieux exploiter les synergies entre énergies : nucléaire, solaire, éolien, hydraulique… Grâce à la domotique et à l’internet des objets, chacun peut devenir acteur de sa consommation. Au coeur de ces innovations, les chercheuses et chercheurs d’Inria se mobilisent pour construire les modèles, les algorithmes et les technologies qui concourent à la responsabilisation de tous et à l’émergence d’énergies moins polluantes.

Pluies diluviennes, inondations, avalanches, canicules, méga-feux, cyclones… les changements climatiques provoquent des événements de plus en plus violents et fréquents. Avec des conséquences sans précédent pour l’humanité : ainsi, selon un rapport de la Banque mondiale de 2021, 216 millions de personnes seront obligées de migrer au sein de leur pays d’ici à 2050. Devant cette montée des périls, les questions sont nombreuses, mais toutes touchent à la maîtrise des incertitudes. Comment comprendre, anticiper voire prédire l’évolution du climat ? Comment détecter les risques dans un contexte critique où les modifications de l’environnement induites par l’activité humaine se manifestent brutalement, menaçant de rompre les équilibres ? Comment décrire les phénomènes environnementaux, dessiner des tendances, concevoir des stratégies de prévention, favoriser la prise de décision et aider l’homme à s’adapter ? Sans le numérique, aucun scénario crédible concernant l’environnement et les changements climatiques à l’œuvre ne serait possible. Seuls instruments capables de projeter les évolutions climatiques du futur, les modèles numériques sont par exemple au cœur des rapports du Giec. Alliées aux sciences de l’environnement, les sciences et technologies du numérique apportent des outils décisifs pour la surveillance, la mesure, la prévention et la gestion des phénomènes complexes auxquels nous faisons face.

À elle seule, l’agriculture est à l’origine, selon la FAO, de près de 90 % de la déforestation mondiale, pèse pour près de 70 % de la consommation d’eau (OCDE) et représente, d’après le rapport du Giec de 2022, 22 % des émissions de GES mondiales en 2019. Dans le même temps, le système agricole est touché de plein fouet par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité tandis que l’augmentation de la population mondiale, qui pourrait atteindre 9,7 milliards de personnes en 2050 selon l’ONU, s’accompagne d’une hausse continue de la demande alimentaire. Face à ces enjeux climatiques, environnementaux et de sécurité alimentaire, le numérique est vu comme une opportunité pour contribuer à la performance du monde agricole aussi bien qu’à la nécessaire transition écologique de l’agriculture. Comment mobiliser et mettre en œuvre de nouvelles capacités d’acquisition et de traitement de données ? D’automatisation ou de robotisation de certaines tâches pour en réduire la pénibilité ? Comment utiliser la diversité génétique des plantes et des animaux pour adapter les productions aux changements climatiques ? Comment les outils d’aide à la décision peuvent-ils aider à diminuer fortement les intrants ? La recherche joue un rôle majeur dans la construction de cette agriculture numérique responsable et résiliente, comme en témoignent le livre blanc Agriculture et Numérique ou le PEPR sur l’agroécologie et le numérique copiloté par Inrae et Inria avec l’ambition d’accélérer la « troisième révolution agricole » fondée sur le numérique, la robotique et la génétique.

Selon l’OMS, la quasi-totalité de la population mondiale (99 %) respire un air dont les niveaux de pollution excèdent les normes définies par l’organisation internationale, en particulier dans les milieux urbains. Parmi les leviers pouvant participer à améliorer l’air que nous respirons figure la transition de nos modes de transport vers des mobilités plus douces… Une transition nécessaire quand on sait que les déplacements des biens et des personnes sont à l’origine d’environ 23 % des émissions mondiales de CO₂ dues à la combustion d’énergie et que cette part pourrait, si l’on ne faisait rien, atteindre 40 % en 2030 (International Transport Forum, OCDE). Du reste, les émissions des transports ont augmenté plus rapidement que celles de tout autre secteur au cours des cinquante dernières années ; et la demande de transport continuera de croître massivement au cours des prochaines décennies. Or, les transports dépendant du pétrole pour 92 % de leur énergie, ils sont particulièrement difficiles à décarboner. Outil indispensable à la mobilité, le numérique peut être mis au service de la préservation de l’environnement en transformant les modes de transport les plus polluants et en développant ceux qui polluent le moins. IA et construction d’algorithmes intelligents pour extraire de l’information des données, architecture, sécurité, anonymisation… les équipes d’Inria disposent d’expertises précieuses pour éclairer les politiques publiques, bâtir des offres en faveur de la décarbonation ou prévenir les situations de crise.

Green IT, consommation de matières premières, décarbonation, efficacité énergétique, réduction des déchets, énergies renouvelables… L’accélération de la transition écologique et énergétique dans l’industrie devient une condition de performance voire de survie des entreprises bousculées par les nouvelles aspirations et exigences de leurs parties prenantes. Pour les décideurs de l’industrie, l’enjeu est écologique, bien sûr, mais il est aussi un enjeu d’image et de compétitivité. Comment accompagner la double transition numérique et écologique de l’industrie ainsi que la gestion des changements culturels induits par l’intelligence artificielle ? Comment conjuguer performance et responsabilité sociale et environnementale ? Comment mettre les sciences et les technologies du numérique au service d’une industrie centrée sur l’humain, durable et résiliente ? C’est toute l’ambition du programme « Intelligence artificielle pour une industrie 5.0 respectueuse de l’homme et de son environnement » – AI FOR I5.0 – imaginé par la Fondation Inria. Construit autour de quatre volets – recherche-développement, projets deep tech, formation, médiation scientifique – et déployé sur une durée de quatre ans, ce programme cherche à bâtir des solutions pour protéger la planète et lutter contre le réchauffement climatique tout en répondant aux attentes de la société.