Tu es élève-ingénieure en 3e année en mathématiques appliquées à l’Ensta Paris et tu suis depuis la rentrée 2023 un double diplôme en data sciences à l’Institut royal de technologie de Suède. Quels choix t’ont menée à ces études ?
J’ai toujours aimé les maths ! C’est pourquoi au lycée, j’ai choisi la filière scientifique (mathématiques, physique et SVT) puis, en suivant les conseils de mes professeurs, j’ai intégré une classe préparatoire MPSI (mathématiques, physique et sciences de l’ingénieur) après mon bac. Je savais avec ce choix que j’allais acquérir de nombreuses connaissances et que cela allait m’ouvrir des portes pour la suite de mon parcours professionnel. Dès ma première année de prépa, j’ai par ailleurs choisi l’option « informatique ».
J’ai ensuite intégré l’Ensta en optant pour la majeure en mathématiques appliquées et la spécialité data sciences. C’est ce choix qui marque véritablement le début de ma spécialisation dans le numérique. J’ai été attirée par ce domaine en constatant l’importance croissante de l’IA dans divers secteurs, notamment en médecine et dans le domaine de l’environnement.
Quels freins ou obstacles as-tu rencontrés dans ton parcours ?
Ma deuxième année de prépa a été difficile. D’abord, en tant que l’une des cinq seules filles de la classe, je me sentais isolée et étrangère au groupe. Je me suis souvent demandé ce que je faisais là, me sentant comme un ovni parmi mes camarades.
Aussi, avec du recul, je regrette de ne pas avoir choisi la majeure informatique au lieu des mathématiques appliquées en deuxième année. Je ne me projetais pas encore avec certitude dans cette spécialité et j’avais l’impression de ne pas avoir le niveau en programmation par rapport à des passionné·es parmi mes camarades de classe. Je ne me sentais pas à la hauteur. De plus, je tenais à prioriser mes hobbies qui me prenaient peut-être trop de temps et d’énergie à cette période de mes études. Heureusement, j’ai pris les mesures nécessaires et j’ai réussi à rattraper mon retard grâce aux cours de « computer science » et d’IA que je suivais. Il m’a fallu ainsi quelques mois pour trouver ma place mais j’ai réussi et je ne regrette pas de m’être accrochée !
Tu t’engages activement au sein de ton école et d’associations en faveur de l’égalité hommes-femmes dans l’ingénierie et le numérique, et contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Quel est ton moteur ?
En arrivant à l’Ensta, j’ai pris conscience des problèmes liés à un environnement majoritairement masculin dans le domaine des sciences ainsi que des discriminations que les femmes subissent au quotidien. Nombreuses sont celles qui aujourd’hui ne choisissent pas une carrière scientifique par manque d’information ou parce qu’elles pensent que c’est hors de leur portée. Pendant longtemps, elles étaient plutôt cantonnées aux tâches domestiques, à la maternité et aux soins. Le système patriarcal leur faisait croire que c’était leur seule place et les seules choses dont elles étaient capables. Ce constat m’a poussée à vouloir changer le système et les mentalités, afin que les hommes prennent conscience de leurs privilèges et les femmes des possibilités de carrière offertes par les cursus scientifiques.
« Le numérique, c’est fascinant. Cela vaut totalement le coup de se renseigner et de choisir des études avec cette spécialité ! Vous allez y arriver, forcément, sans aucun doute. Vous allez pouvoir faire de belles choses. »
De quel projet es-tu la plus fière ?
S’il faut choisir, je crois que la mise en place d’interventions dans des classes de collèges et lycées du Bas-Rhin pour faire découvrir les métiers de l’ingénierie est un des projets dont je suis la plus fière. Quand j’étais collégienne, je ne savais pas ce qu’il y avait derrière le métier d’ingénieur et mes camarades non plus. C’est pourquoi, avec une amie, nous avons décidé d’intervenir dans des établissements scolaires pour parler des femmes dans les sciences, de l’effet Matilda et des différentes facettes du métier d’ingénieur. Notre objectif est d’encourager les jeunes filles à se projeter dans des carrières scientifiques, de leur montrer des exemples de femmes qui ont marqué la science et de sensibiliser à l’importance de la présence des femmes dans ces domaines. Lorsqu’on demande aux élèves s’ils connaissent le métier d’ingénieur, ce sont majoritairement les garçons qui répondent. Ou bien si on pose la question : « Est-ce que vous connaissez des femmes scientifiques à part Marie Curie ? », il n’y a aucune proposition ! Ces interventions nous ont permis de réaliser à quel point certains stéréotypes étaient profondément ancrés et de mieux comprendre les mécanismes de discrimination envers les femmes dans les domaines scientifiques.
Être lauréate du prix de la femme du numérique m’a motivée à continuer mes interventions dans les classes en les orientant davantage vers le numérique. Nous essayons de leur donner des exemples pour leur montrer l’importance de la diversité dans les projets numériques, en particulier dans le domaine de l’IA. Un bon exemple est le cas de la reconnaissance faciale qui reconnait mieux les hommes blancs que les femmes noires car ces programmes ont été entrainés par des hommes blancs.
Je vais également poursuivre mes engagements en faveur de l’égalité hommes-femmes. À l’Ensta, je suis référente VSS au sein de l’association féministe SisTA. Par exemple, nous avons travaillé sur la manière de traiter et de lutter contre ces violences, notamment en soirée. Nous avons également contribué à l’élaboration de la « Charte inter-école du plateau de Saclay de protection contre les violences sexuelles et sexistes » afin d’uniformiser les pratiques de sécurité et créer un environnement sûr et serein pour chacun et chacune. Ces problématiques de sécurité concernent tout le monde, pas seulement les femmes.
Un mot de la fin pour les jeunes filles qui se posent des questions sur les carrières dans le numérique ?
Il y a tellement de possibilités avec les études d’ingénieur et du numérique ! Les applications de l’IA sont partout, que ce soit dans la lutte contre le réchauffement climatique ou le progrès médical ou social par exemple. Le numérique et l’IA s’appliquent à tellement de domaines qu’il y a forcément une spécialité qui va vous plaire. Je ne sais pas comment mieux l’expliquer : le numérique, c’est fascinant. Cela vaut totalement le coup de se renseigner et de choisir des études avec cette spécialité ! Vous allez y arriver, forcément, sans aucun doute. Vous allez pouvoir faire de belles choses.